I – Approche de l’Outing

1 – Définitions :

Le terme outing a fait son apparition aux États-Unis dans les années 1990 et a traversé les océans en quelques mois pour atteindre aussi bien l’Australie que l’Europe provoquant un important débat médiatique (Allemagne, France, Grande-Bretagne, Pays-Bas).

Un terme à double sens :

Définir le principe ou la pratique d’outing n’est pas chose facile, tant cela peut varier selon le sens qui lui est conféré ; notamment en fonction de la position d’adhésion ou de rejet adoptée face au procédé. Selon l’acceptation la plus couramment avancée par ceux qui en font usage, l’outing consiste à révéler l’homosexualité d’une personnalité publique qui s’attacherait à le taire et, ce faisant, validerait le stigmate qui lui est associé, tout en pérennisant le silence imposé aux homosexuels.

Certains militants l’ont prôné ou exercé à partir d’une définition plus précise, à propos de personnalités qui non seulement choisissent de rester « dans le placard » mais de surcroît encouragent l’homophobie par leurs positions ou par leurs engagements.

Dans les deux cas, les partisans du outing entendent ainsi combattre l’homophobie en luttant contre le silence et l’invisibilité qui font le jeu de l’oppression ou en rendant publique la contradiction de ceux qui, par leurs positions, favorisent la discrimination des homosexuels.

A l’inverse, nombre de ses opposants considèrent l’outing comme une pratique attentoire aux libertés, voire homophobe. Parce que l’homosexualité dans nos sociétés est stigmatisée et fait l’objet de discriminations, révéler celle de personnalités qui préfèrent la taire les soumet de fait à cette condition. Et c’est cette ambiguïté qui fonde les clivages et les débats contradictoires qui, sur le sujet, n’ont jamais cessé d’opposer partisans et ennemis du outing.

Les adeptes du outing sont des homosexuels qui considèrent qu’ils agissent dans le sens d’une libération homosexuelle, les ennemis ont eux, des intentions de délation à visée discriminatoire.

Le contexte juridique :

Il faut ensuite tenir compte des contextes où s’opère la révélation publique et des conséquences qu’elle peut impliquer pour les personnes concernées. Dans certains cas, le risque encouru est de nature pénale, dans d’autres de nature sociale : les pratiques de dénonciation s’exercent en général dans le premier contexte, et l’outing (dans sa définition la plus courante) dans le second.

L’outing met en exergue l’absurdité du droit français, qui veut q’une poursuite ne puisse être effectuée à l’encontre d’une banderole haineuse mais qu’inversement la jurisprudence soit particulièrement sévère lorsqu’il s’agit d’évoquer l’homosexualité d’une personne en particulier.

Selon ses détracteurs, l’outing stigmatiserait encore plus l’homosexualité en faisant peser sur les homosexuels une double peine (les hétérosexuels homophobes ne pouvant être l’objet d’une telle mesure). Mais cet argument tend à confondre homosexualité et homophobie et méconnaît la logique pratique de l’outing, qui est celle d’une politique de résistance.

L’outing montre que proscrire strictement la responsabilité pour autrui en démocratie revient à rester aveugle aux discriminations puisqu’en permanence les individus interagissent et produisent des normes que l’État et d’autres institutions régulent. Se pose donc la question de la responsabilité des individus quant à cette production normative à travers la stigmatisation mutuelle qu’homosexuels « out » et « non out » s’infligent.

Ainsi, lorsque l’outing est perçu comme une assignation à la transparence, contrainte à une vérité de soi sur soi, c’est justement parce qu’il révèle les mécanismes mêmes de la domination hétérosexuelle en jouant et en se jouant de sa logique.

2 – Les manifestations de l’outing

Une pratique amorcée par les années Sida :

Dans sa forme contemporaine, la pratique du outing a pour condition l’existence d’un groupe qui applique et revendique le principe de visibilité des homosexuels. Cependant, elle ne se retrouve guère durant la première période de l’histoire des mouvements de libération homosexuelle. Sa formulation théorique est certes avancée au début des années 80’ mais ce n’est qu’à la fin des de ces années qu’elle apparaît aux États-Unis, dans un contexte fortement marqué par le Sida.

Indéniablement, c’est la situation de double menace que connaissent les homosexuels confrontés à la fois à l’épidémie et à l’homophobie qui rend possible l’apparition du outing. Les premiers qui le mettent en oeuvre sont des militants de la lutte contre le sida à New-York, des militants d’Act-Up Portland…

La définition qu’Act-Up donne de l’outing est la suivante : « L’outing consiste à rendre publique l’homosexualité, la séroprévalence ou la maladie d’une personnalité du monde des Arts, des médias ou de la politique. L’outing consiste également à révéler les causes réelles de la mort d’une personnalité qui a préféré garder le secret sur son sida. »

L’association justifie ce choix par l’argument selon lequel l’homophobie « fait le jeu du sida », et que l’on ne peut lutter contre l’homophobie que par la visibilité (volontaire ou contrainte). Ainsi, pour la nécessaire visibilité homosexuelle, Act-Up-Paris associe celle des séropositifs et des malades, avec comme principale référence le cas d’un homme politique américain (Tom Duane) qui, soumis à la pression d’activistes, a choisi de révéler lui-même sa séropositivité.

L’outing post-mortem :

En juin-juillet 1999, le 3 Keller, journal publié par le CGL de Paris, contenait un billet signé Fabien Rivière, qui affirme que le sida est la cause du décès récent de trois personnalités. Contrairement à l’opération médiatique d’Act-up savamment orchestrée, ce billet serait probablement passé inaperçu si Jan-Paul Pouliquen n’avait pas réagi par une lettre ouverte au CGL de Paris en date du 21 juillet, largement diffusé sur le net.

Les jours suivant, Libération et le figaro en faisait état. La suite de ce débat a donc eu lieu sur le net avec de nombreuses réactions : certaines anonymes, d’autres signées, certaines en faveur du CGL, d’autres critiques vis-à-vis de son comportement. Les autres réactions ont porté sur ce procédé d’outing sérologique post-mortem. Jean Le Bitoux s’avoue terrifié à cet égard : ” La moindre justification du outing insulte, nous sommes victimes de fichiers, de délations, de farfouillage dans la vie privée.  Comment ces allumés d’Act-up peuvent-ils décider de faire la guerre au Ministère de la Santé pour violation du secret médical d’actuels survivants du sida, et choisir nommément des victimes expiatoires à leur exaspération dans leurs colonnes ?  “

Un canal privilégié : les médias :

En France, comme dans toute l’Europe, ce sont des articles qui mettent en exergue l’outing, ils paraissent dans la presse gaie et généraliste. En moins de 18 mois, Gai Pied consacre trois dossiers au phénomène (1990, 1991, 1992).

Les positions qui s’y expriment sont majoritairement hostiles, en dépit de Didier Lestrade qui tente de rendre la pratique compréhensible et acceptable pour les lecteurs français. Seule l’association Act-Up-Paris, que le journaliste préside, y est favorable : elle adopte officiellement le principe du outing le 19 mars 1991, à l’issue de trois semaines de débats houleux et contradictoires.

Ceux-ci se montrent le plus souvent défavorables au outing, parlant parfois de chantage ou de délation, sans s’embarrasser de la contradiction consistant à invoquer ici le « respect de la vie privée » tout en passant outre ce principe dans bien d’autres occasions. Parce qu’elle relèverait de la sphère privée, l’homosexualité n’aurait pas à être évoquée publiquement par d’autres que ceux qu’elle concerne ; l’outing transgresserait ainsi une liberté individuelle et un droit fondamental.

Or, sans réfuter en soi le principe d’un droit au « respect de la vie privée », force est de constater que l’homosexualité ne relève pas de ce seul domaine, notamment et surtout en raison de la construction sociale dont elle résulte, et plus précisément de la logique homophobe qui soumet les homosexuels à la discrimination et le constitue en catégorie sociale infériorisée.

Pour certains, l’argument du « respect de la vie privée » est opposé au outing, parce qu’il est appliqué ici aux seuls homosexuels, traduit et soutient le traitement inégalitaire et infériorisant qui leur est réservé. Et c’est dans le simple but de rétablir une égalité de traitement queGabriel Rotello, par ex, défend le outing, qu’il a ainsi proposé de renommer equalizing (sans succès). Dès lors, tout journaliste évoquant l’homosexualité d’une personnalité publique doit-il être considéré comme pratiquant l’outing, indépendamment de la manière dont il livre l’information ?

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